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Lieu

Boundiali, Abidjan

Alors, je voudrais dire quelles que soient les circonstances de la vie, pour moi la réussite est d’abord le résultat d’une volonté personnelle sans tricherie. Parce que je suis née de sexe féminin et dans unefamille musulmane, mon père a refusé de me scolariser. Et moi, j’étais vraiment fascinée par l’école.

Et un jour, je me suis cachée et j’ai suivi deux enfants à l’école. C’était à l’école catholique fille de Daoukro et en arrivant mon père était furieux de me voir dans cette école. Les sœurs catholiques qui dirigeaient cet établissement scolaire lui ont demander poliment de melaisser suivre les cours. Voici comment J’ai pu, par ma seule volonté, accéder à l’école.

Je voudrais retenir également comme enseignement de ma vie que la clé de la réussite, c’est le travail. J’apprécie bien le slogan inscrit sur le mur d’un établissement quand on passe « l’effort fait des forts. »

Je considère que chacun de nous naît avec uneintelligence, mais de mon point de vue, l’intelligence se cultive et s’entretient. Les meilleurs sont donc ces personnes qui bonifient leur intelligence par le travail.

Me concernant, j’étais toujours la première de ma classe quelles que soient les situations. Je voudrais dire aux jeunes que lorsque j’allais à l’école, ma mère étantanalphabète était vendeuse. Je l’aidais donc dans ses activités quotidiennes, c’est à dire les tâches ménagères, son petit commerce de cacahouètes, de bonbons glacés, de fruits de saisons etc. Et pendant les vacances également, quand bien même que je participais aux activités socio-culturelles des lieux où je me trouvais.

Un autre élément qui pour moi est important, est de retenir qu’on ne peut réussir qu’avec le concours des autres. Et pour moi les autres, ce sont les parents, les amis, les enseignants et également les âmes charitables.

Lorsqu’on a des parents qui sont condamnés à la mobilité à cause de leur métier comme ce fut mon cas, mon père étant gendarme, l’une des choses à faire est de savoir s’adapter à son environnent.

C’estàdire, il faut être un citoyen du monde qui apprend à lire la culture des autres et c’est ce que j’ai pratiqué durant toute ma vie scolaire.

Alors quand je dis qu’on peut réussir qu’avec le concours des autres, je m’arrête à un autre pan de ma vie.

J’étais au CE1 et souvenez-vous que je suis allée à l’école de moi-même, mon père nétait pas content et la sœur (notre maîtresse) me demande d’acheter le livre de catéchisme. Arrivée à la maison, j’explique à mon père et il me répond : « Justement, c’est l’occasion que j’attendais puisque, comment un enfant musulman fréquente une école catholique pour apprendre le catéchisme ? Ce n’est pas notre éducation. C’est pour tout cela que je ne voulais pasque tu ailles à l’école et ça tombe bien, je vais retirer ton dossier ».

Et effectivement, il a retiré mes dossiers de l’école. Ma mère en l’apprenant rentre dans une colère noire.Malgré sa bonne éducation, elle lui demanda de revenir sur sa décision, le supplia même, mais mon père ne voulait toujours pas.

Alors elle interpella les imams et toutes les personnes qu’elle pouvait. Sa volonté de voir sa fille aller à l’école aété déterminante pour moi. Grâce à toutes ces concertations, j’ai pu reprendre le chemin de l’école.

Puis, je réussi mon entrée en 6ème avec la meilleure mention de tout le centre et j’insiste pour intégrer lelycée Houphouët Boigny de Korhogo. Je ne connaissais personne dans ledit lycée. Je voulais y entrer juste parce qu’on m’avait dit que le Président donnait des cadeaux aux enfants lors de son passage dans cet établissement. Et me voici au lycée Houphouët Boigny de Korhogo en 6ème.

Heureusement à cette époque, il y avait l’internat là-bas et je crois que l’internat est très important pour les filles. 

Puis en 3ème, après l’obtention du BEPC, tous les parents de Boundiali débarquent chez mon père en disant « Notre fille a eu le brevet (à cette époque on appelait ce diplôme le Brevet), il faut la mariermaintenant ».

Encore une fois ma mère s’est opposée à ce projet de mariage. Elle a entrepris des démarches respectueuses auprès de personnes influentes afin de changer encore une fois, la décision de mon père.

Ensuite, j’arrive au bac probatoire puis le bac, et malgré toutes les bonnes notes, je reçois une indication d’orientation à l’époque. J’étais furieuse avec un nombre d’élèves qui pensions avoir bien travaillé, et qui n’étions pas orientés vers de meilleures filières. Alors on a organisé une grève.

Et un jour, mon père qui m’appelle suite à une grève : « mais qu’est-ce qu’un enfant de gendarme fait parmi les grévistes » et à ma très grande surprise mon père qui n’avait jamais voulu que je parte à l’école est celui-là même qui m’encourageait en me disant « il faut que tu assumes ». Ce mot « assumer » raisonnait dans ma tête comme un défi.

Assumer, c’est ce que j’ai donc fait. J’ai pris l’indication d’orientation que je ne voulais pas, comme un défi, et grâce à ce défi, j’ai cherché à connaître, à comprendre et à aimer la sociologie.

Je vous assure, j’y ai mis tout mon cœur, tout mon sérieux et je suis tombé amoureuse de la sociologie. Donc, faire sérieusement ses études, aimer ce qu’on fait, je pense que c’est important.

Voilà que j’arrive en maitrise, je me dis que mes parents n’ont pas de grands moyens, alors je décide d’arrêter les études pour aller travailler et aider mes parents. Je cherchais du travail. J’écris donc à plusieurs ministères et comme par hasard, c’est le Ministère de la Condition Féminine qui me répond. C’est ainsi que j’ai une entrevue avec la Ministre qui n’est autre que la MinistreHortense Aka ANGHUI.

Elle me dit : « tu es jeune et pourquoi veux-tu arrêter les études ? »

Je veux arrêter les études pour aider mes parents car j’estime qu’ils souffrent trop, répondis-je.

Et elle continua : « je te comprends. Mais je pense que si tu continues tes études, tu seras plus efficace pour tes parents que si tu arrêtais maintenant ».

Parallèlement à ses conseils, j’ai été repérée par le Directeur de mon institut, l’Institut des Crimes Sociologiques, Professeur Kouamé N’Guessan, à qui je rends hommage également. Il m’a demandé de faire un travail d’enquête sociologique dans un village avec le concours de LORSTON, un centre de recherche français.

Alors, j’ai fait ce travail et il parait que j’ai tellement bienfait cette enquête que le Directeur de LORSTON à l’époque, M. AKE Yapi Adjé a dit : « cette fille-là, ce serait un gâchis si on la laisse comme ça »

Et sans demander mon avis, il m’a cherché des bourses d’études en France, aux USA etc.

Au final, j’ai obtenu une bourse d’étude pour la Francepour l’école des roses. Mais comme je ne voulais plus continuer les études et que je désirais travailler, je suisallée voir à nouveau la Ministre AKA ANHGUI, qui m’a encore rejoué son disque en me disant : « tu as une bourse, c’est très bien. Tu pourras bien aider tes parents avec de longues études ».

Et mon père encore une fois m’a dit : « il faut partir. Moi, je pense qu’il faut que tu sois devant, il faut que tu sois la meilleure et tu as toujours été la meilleure et il faut que tu continues. Quand je te vois, je suis fier. Je le suis devant mes collègues et mes amis, donc il faut continuer. Je veux qu’on dise que mon enfant a eu un doctorat aussi ».

Il réussit à me convaincre. Alors, j’ai continué et c’estainsi que j’ai eu mon doctorat. J’ai mis tellement de sérieux dans le travail que je faisais là-bas que j’aiobtenu une bourse à l’époque du Ministère de la Recherche Scientifique de Côte d’Ivoire. En plus, j’aiobtenu également une allocation de recherche du gouvernement français à travers LORSTON.

Voici comment j’ai pu continuer mes études et obtenirmes diplômes.

En conclusion, en parlant aux jeunes surtout aux jeunes filles, être femme n’est pas un obstacle, être pauvre également n’est pas une fatalité.

J’ai compris que la volonté personnelle a joué, le travail, l’effort, la persévérance ont été vraiment bien déterminant pour moi.

Bien faire, assumer, mieux faire sans tricherie, sont des choses qui mont ouvert des portes.

Le soutien de ma mère et ensuite mon père, celui des enseignants, des amis, des âmes charitables, et cela a été très important pour moi.

Enfin, je pense que l’humilité, la dignité, le respect, pour les jeunes filles, le fait de ne pas être envieuse, estégalement important. Ces quatre choses que je viens de citer, éloignent des vices et font qu’on peut s’assumerpleinement et réussir dans la vie. Afin de rendre les parents, les enseignants, les amis, les promotionnels d’écoles fiers.

Alors, me concernant je pense qu’on devient modèle de réussite en ne se qualifiant pas soi-même modèle de réussite. Ce sont les autres qui nous perçoivent comme tel, parce que nous sommes en harmonie avec le monde social.